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Art hispanique JF

9 janvier 2023

Gabriel Garcia Marquez, Chronique d'une mort annoncée

Référence : Gabriel Garcia Marquez, Chronique d'une mort annoncée, éditions Grasset, traduction Claude Couffon, 210 pages, décembre 1981

Incipit : « Le jour où il allait être abattu, Santiago Nasar s'était levé à cinq heures et demie du matin pour attendre le bateau sur lequel l'évêque arrivait»

                  
Garcia Marquez en 1984

Le narrateur [1] revient plusieurs années après, sur le meurtre de son ami Santiago Nasar dans un village colombien en recueillant des témoignages sur cet événement qui avait bouleversé la communauté.

Tout part du mariage de Bayardo San Roman et d'Angela Vicario. Le marié est furieux parce qu'il s'est aperçu pendant la nuit de noces qu'Angela n'est plus vierge. Avant de la renvoyer dans sa famille, il lui arrache le nom du coupable : Santiago Nasar.

  

Dans la mentalité de ces gens, les deux frères jumeaux d'Angela, les jumeaux Pedro et Pablo se doivent de venger l'honneur de leur sœur. Munis de couteaux, ils se planquent dans une boutique qui fait face à la maison de Santiago, à l'affût devant une sortie qu'il utilise peu et ne cachent pas leur intention : tuer Santiago car : « il sait pourquoi ».

« Les affaires d'honneur sont des cases hermétiques auxquelles ont seuls accès les maîtres du drame»

                       

Mais on ne les prend pas au sérieux. N'ayant que des soupçons, la police se contente de confisquer les couteaux, sans avertir Santiago du danger. Tout le village est au courant sauf Santiago et sa mère, et les jumeaux se procurent sans problème d'autres couteaux.

                   

Le village est tout occupé à la venue de l'évêque qui, sur le fleuve, passe rapidement devant le village en leur donnant sa bénédiction. Alors qu'il s'apprête à repartir chez lui, Santiago est tué devant la porte qu'il utilise peu et que sa mère vient de fermer.

Les assassins feront trois ans en prison, finalement acquittés ayant agi pour venger l'honneur de leur sœur. Selon des témoins, les deux frères ont tenté en vain de se soustraire à cette obligation mais personne ne les a crus. Même si Angela a confirmé ses accusations, le narrateur en doute fortement. Toujours est-il que plus tard, Bayardo et Angela renoueront pour finir par vivre ensemble.

          
Gabo & sa femme à Paris en 1981                       Gabo et François Mitterrand

« Jamais une mort ne fut plus annoncée »

Sur le contenu, on peut dire que le livre a un côté roman policier. On ne sait trop si Santiago est réellement "coupable" d'avoir déshonnoré Angela, ne serait-ce que parce que la jeune fille reste constamment sous le regard des membres de sa famille et  ses frères, qui semblent douter de la réalité des faits, finalement pas si sûrs de leur bon droit. Santiago lui-même ne s'inquiète pas du danger, continuant de vivre comme s'il était innocent.

Dans cette logique, il faut se demander pourquoi cette accusation de la part d'Angela et quelles étaient les relations entre Santiago et Angela. Le jeune homme aurait repoussé Angela, ne la jugeant pas digne de lui et ayant suscité en elle un profond sentiment de vengeance.

Cette reconstitution n'explique rien, et même rend plutôt opaque les faits et motivations de chacun. On retrouve bien ici ses thèmes favoris de l'honneur et de la fatalité magnifiés par l'imagination et l'humour de l'auteur.

           

Marquez en fait une histoire sur la question de la réalité du viol vérité dont la fin n'est pas dévoilée. Il divise son roman en cinq blocs, visant un moment précis du meurtre et des gens impliqués et posant le problème de savoir pourquoi ce meurtre a pu se perpétrer si tout le monde savait et que personne n'a essayé de l'empêcher.

On y trouve aussi quelques références au réalisme magique si cher à Marquez, comme dans l'odeur de la mort que Santiago laisse chez ses assassins, la couleur bleue de l'âme d'une voisine, Yolanda de Xius ou la "présence" d'un oiseau fluorescent qui, comme une âme en peine, survole l'église du village.

          
Ornella Muti dans le film éponyme        Garcia Marquez en octobre 1992

Complément

D'après un événement qui s'est déroulé le 20 janvier 1951 dans la ville côtière de Manaure en Colombie, "Gabo" comme on le surnommait revient sur le meurtre de Cayetano Gentile, accusé d'avoir violé Margarita Chicha Salas, l'Angela Vicario du roman. Margarita aurait été rejetée par Miguel Reyes Palencia, le Bayardo du roman. 

         
Manauré, ville où s'est passé l'événement

Notes et références
[1] Le narrateur, dont on ne connaît pas le nom, est le cousin d'Angela et un ami proche de Santiago.

Voir aussi :
Document utilisé pour la rédaction de l’articleBiographie de Gabriel Garcia Marquez -- Hommage : Adieu Gabo --
Document utilisé pour la rédaction de l’articleVivre pour la raconter --

Quelques dates

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<< Christian Broussas GGM Chronique ©  CJB  ° 22/12/2022  >>
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9 avril 2021

Patrick Rotman Livo & Jorge

Jorge Semprun et Ivo Livi dit Yves Montand : Beaucoup de choses auraient dû opposer ces deux hommes dont on peut dire en tout cas qu'ils ont été en prise avec leur époque.

               
Semprun & Montant          Patrick Rotman & sa femme Florence Pernel

Jorge Semprun était issu de la grande bourgeoisie madrilène, parlant par exemple trois langues, Ivo Livi, dit Yves Montand était au contraire unfils d’immigré italien obligé de quitter l’école à douze ans. Le chanteur puis acteur a eu une culture assez diverse de l'autodidacte, homme qui se donnait des airs très extravertis mais de tendance plutôt angoissé, alors que Semprun possédait une grande culture littéraire et philosophique, un homme plutôt secret, ce qui allait d'ailleurs bien lui servir dans sa lutte clandestine. 



Tous les deux d'une grande timidité, ils allaient se retrouver sur le plan politique, rejoignant très tôt la cause communiste, celle en fait de beaucoup de jeunes de leur génération qui cherchaient un idéal et pensaient l'avoir découvert dans l'expansion du communisme. Yves Montant, né pourtant dans cette mouvance, s'occupait uniquement de son avenir personnel, de sa réussite matérielle, à la différence de Jorge Semprun qui très tôt fut un homme engagé, d'abord dans la Résistance qui lui valut de connaître la déportation puis le camp de concentration de Buchenwald. Au lendemain de la guerre, installé en France il n'oublie pas l'Espagne et va dès lors rejoindre les clandestins du Parti communiste espagnol pour lutter contre l'Espagne franquiste.

Ce n'est que lorsqu’ils se rencontrent, au début des années 60, que naît une profonde amitié sur la base d'un idéal commun et d'affinités intellectuelles. Montant a mûri et s'est rapproché du Parti communiste français, Semprun a rompu avec le communisme et cherche de nouvelles façons d'espérer dans la gauche socialiste.

               

Ils sont bien le reflet d’une époque contrastée, émaillée des conflits qui constellent les relations internationales et les dures réalités du quotidien. L’italien naturalisé français et l’espagnol qui écrit essentiellement en français resteront en tout cas fidèles à la gauche, défenseurs des plus pauvres, Montant après une évolution constante où Simone Signoret a sans doute joué un rôle important, Semprun en saisissant la dure réalité de Buchenwald et les dégâts du franquisme que la grande bourgeoisie espagnole avait frileusement rejoint.

Patrick Rotman les suivra comme lors d’une visite à Moscou, moment important de son récit, où Montand va se livrer à un émouvant "aveu" et où Semprun commentera son itinéraire entre Madrid et Buchenwald, à travers les anecdotes qu’il raconte.

             
                              Semprun & Montant avec Alain Resnais      Semprun & Montant  

Il revient sur des événements qui ont marqué leur vie tels  que Semprun à Buchenwald, sa vie de clandestin dans l’après-guerre comme dirigeant du Parti communiste espagnol, tels que le trac de Montant quand il est sur scène ou qu’il discute avec Khrouchtchev lors d’un dîner en Russie.
C’est aussi une belle traversée de ce siècle contrasté, des années 1930 jusqu’à la Perestroïka, où l’on rencontre également des personnalités comme Simone Signoret bien sûr mais aussi John Kennedy, Ernest Hemingway, Arthur Miller, Marylin Monroe et des amis comme Édith Piaf ou Costa-Gavras.

               

L’ouvrage est constitué de courts chapitres écrits en séquences, retraçant le parcours de ces deux hommes hors du commun, engagés dans les combats politiques de leur époque avec une grande lucidité qui laisse encore filtrer leur optimisme juvénile.

Voir aussi
* Ma fiche Jorge Semprun, Montant, la vie continue --

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<< Christian Broussas, Ivo & Jorge 8/04/2021 © • cjb • © >>
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13 juin 2020

Fernando Pessoa et l'intranquillité

Référence : Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité, éditions Christian Bourgeois, traduit par Françoise Laye, 570 pages, 1999

   
Fernando Pessoa à 26 ans                        Sa mère et son beau-père

Écrit comme une espèce de Journal entre 1913 et 1935, ce livre est composé de pensées, de maximes, d'aphorismes notés au fil des jours. Il es souvent considéré comme son chef-d'œuvre, ouvrage majeur de la littérature européenne de l'époque.

Le Livre de l’intranquillité est le journal intime tient son double, l’employé de bureau Bernardo Soares. Il nourrit a aussi un lien particulier avec Lisbonne et ses paysages urbains comme Charles Baudelaire avec Paris. [1]
Bernardo Soares, double de Fernando Pessoa, est un homme "intranquille" qui traîne une terrible errance, une vie tourmentée dans laquelle il se sent étranger.

    
Fernando Pessoa en 1908               
Le 6 juin 1914, avec Costa Brochado au café de Martinho da Arcada

Le Journal permet à Pessoa d’analyser méthodiquement les nombreuses facettes de  son hétéronyme, qu’il définit comme l'une de ces « proliférations de soi-même »" qui font un être. L’ensemble peut passer pour décousu, constitué de textes très différents, [2] fait de pensées éparses, conscience spécifique des êtres et de l'existence, assez souvent douloureuse, suscitant malgré tout une douceur indéfinissable, où écrit-il « je me constelle en cachette et où je possède mon infini. »

              
Fernando Pessoa à 26 ans               Pessoa et ses hétéronymes

François Busnel dans le Magazine littéraire, écrivit ce commentaire : « Le Livre de l’intranquillité est le récit du désenchantement du monde, la chronique suprême de la dérision et de la sagesse mais aussi de l’affirmation que la vie n’est rien si l’art ne vient lui donner un sens. »

Vous avez dit "hétéronymes" ?

En portugais « pessoa » signifie « personne ». De son vivant, il n'a guère publié sous son nom, à part quelques articles dans les journaux, mais il a écrit sous des pseudonymes qu’il appelait ses « hétéronymes » dont chacun correspondait à une personnalité spécifique.

 Après son retour d'Afrique du sud à 25 ans, Fernando Pessoa ne quittera plus Lisbonne où il travaille comme employé de bureau. C'est le 8 mars 1914 que ce poète introverti et anxieux, reconnaît son double, le maître Alberto Caeiro, suivi de deux autres, Ricardo Reis, un stoïcien [3] et Álvaro de Campos, féru de sensations. Encore un autre Bernardo Soares, modeste employé comme lui, tient le journal de son "intranquillité", tandis que Fernando Pessoa lui-même, explore d'autres voies, allant du lyrique à l'ésotérisme, en passant par l'érotisme.

À ce propos, Fernando Pessoa écrira : « Alberto Caeiro à peine né, je m’employai aussitôt (…) à lui trouver des disciples. J’arrachai Ricardo Reis, encore latent, à son faux paganisme. [...] Et voici que soudain, par une dérivation complètement opposée à celle dont était né Ricardo Reis, apparut impétueusement un nouvel individu. D’un seul trait, à la machine à écrire, sans pause ni rature, jaillit l’Ode triomphale d’Alvaro de Campos – l’ode avec son titre et l’homme avec le nom qu’il porte. »

 
Sa statue sur la terrasse de la Brasileira

Fernando Pessoa à Lisbonne

Pessoa et Lisbonne, c'est le grand amour. [1] Trente ans à sillonner la ville dans une aire bien délimitée. Son espace favori, c'était entre la place São Carlos, où il est né, et l’hôpital Saint-Louis des Français, où il est mort, un petit kilomètre. Entre la ville basse (la Baixa), où il travaillait, et le Campo de Ourique, où il résidait, guère plus.

Dans ce quartier, le long du Tage, il se baladait du château São Jorge et de la place du Figuier, à l’est, au port d’Alcantara, à l’ouest. On peut l'imaginer dans ses bistrots préférés, du côté de la place du Commerce, où la ville s’ouvre sur le Tage, où on peut encore  voir sa table au café Martinho da Arcada, au Bairro Alto où, à la terrasse de la Brasileira, trône sa statue grandeur nature. On peut s'y attabler pour, pourquoi pas, deviser avec lui.

           
Son portrait par Luis Badosa en 1997

Fernando Pessoa, Le Banquier anarchiste

Référence : Fernando Pessoa, Le Banquier anarchiste, éditions de La Différence, collection Littérature étrangère, traduit par Joaquim Vidal, Simone Biberfeld et Dominique Touati, 92 pages

Un banquier qui explique que le but est d’aboutir à « une révolution sociale préparée par un travail intense et continu, d’action directe et indirecte, tendant à disposer tous les esprits à l’avènement de la société libre et à affaiblir jusqu’à l’état comateux toutes les résistances de la bourgeoisie, » voilà qui est peu banal et ressemble à un manifeste.

Un ami s'interroge : comment peut-il si facilement concilier son métier d'accapareur avec de telles théories manifestement d'essence anarchiste. Paru en 1922 dans une revue, ce récit fait d'un long dialogue à l'humour terrible dirigé contre les tartuffes et autres intellectuels donneurs de leçons, a longtemps été ignoré.

Le texte n'a rien perdu de son ironie, à la fois mordante et jubilatoire. Ce banquier  anarchiste a l'esprit madré, possède une curieuse logique avec ses raisonnements par l'absurde et une mauvaise foi jouissive. Au-delà du personnage, c'est aussi une critique de la société bourgeoise  et de son hypocrisie auquel se livre l'auteur. Pour lui, c'est l'argent et son pouvoir qui pervertit les hommes et mine une liberté qui devrait être leur plus grand bien.
 

            
Lisbonne                         Le banquier anarchiste         Poèmes ésotériques

Notes et références
[1] Voir Lisbonne, Sur les pas de Pessoa et son guide de Lisbonne --
[2]
La nouvelle édition de ce livre, entièrement refondu, comprend 549 fragments et textes divers
[3] Voir aussi L'année de la mort de Ricardo Reis par José Saramago --


Voir aussi mes articles :
Document utilisé pour la rédaction de l’article José Saramago, Menus souvenirs --  Biographie -- Hommage 2020 --

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<< Christian Broussas • Fernendo Pessoa © CJB  ° 13/06/ 2020  >>
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4 juin 2019

Paulo Coelho, Hippie

Référence : Paulo Coelho, Hippie, éditions Flammarion, traduction Élodie Dupau, Cécile Lombard, 320 pages, juin 2018

« Qui veut apprendre à se connaître commence par explorer le monde. »

       

Dans ce roman autobiographique, Paulo Coelho nous plonge dans l’utopie salvatrice et pacifiste de la génération hippie du début des années 1970, ce mouvement auquel il a participé et qui l’a beaucoup marqué.
Paulo est alors un jeune homme aux cheveux longs qui rêve de devenir écrivain. Sans doute que son rêve va rejoindre celui de sa génération qui refuse de plus en plus le monde étouffant né de la Seconde guerre mondiale.

Ne supportant plus la dictature militaire brésilienne de l’époque [1]  , il s’en va parcourir le monde à la recherche de liberté et de spiritualité, thème qui dominera ensuite son œuvre. À l'âge de 23 ans, il se laisse aller à sa curiosité naturelle, voyageant à travers l’Amérique latine, le Mexique, le Pérou, la Bolivie et le Chili, puis en Europe et en Afrique du Nord.

                  
Agenda 2017-2019 : Chemins, Liberté et Amitié

« J'écris pour transformer la tristesse en nostalgie, la solitude en souvenirs. »

C’est en Europe où il rencontre Karla, une jeune hollandaise à Amsterdam, qu’il poursuit sa quête de vérités intérieures qui lui permettra de poser un regard différent sur le monde, recherche spirituelle qu’on retrouve dans son roman Sur le bord de la rivière Piedra, je me suis assise et j'ai pleuré où une jeune fille nommée Pilar décide de donner un sens à sa vie.
Puis avec Karla, il part à bord du fameux "Magic Bus" pour le Népal, la destination phare pour les hippies du monde entier.

      

Paulo Coelho a été un enfant introverti et rebelle mais il a toujours porté sur les autres et le monde un regard indulgent. En témoigne cet épisode de son adolescence [2] où son père, ne sachant plus quoi faire de ce fils rebelle, décide de le faire interner dans un hôpital psychiatrique. Il ne lui en voudra nullement, disant « ils n'ont pas fait ça pour me faire souffrir... mais ils ne savaient pas quoi faire. Ils n'ont pas fait ça pour me détruire, ils ont fait ça pour me sauver. »  Bien plus tard, il puisera dans cette expérience les éléments de son roman Veronika décide de mourir.

                

Revenu chez lui au Brésil, il deviendra interprète mais sera repris par le virus de l’écriture, comme il le dit dans cet interview : « J'étais très heureux dans ce que je faisais. Je faisais quelque chose qui me donnait nourriture et eau. Je travaillais, j'avais une personne que j'aimais à mes côtés, j'avais de l'argent. Mais je ne vivais pas mon rêve. Mon rêve était, et l'est toujours, de devenir écrivain. »

Notes et références
[1]
 Il sera un temps emprisonné en 1974 sous le prétexte d'avoir commis des "gestes subversifs" contre la dictature brésilienne.
[2]
Il avait alors dix-sept ans et il s’en échappera à trois reprises avant d’être relâché à l'âge de 20 ans.

Voir aussi
* Paulo Coelho, Un conte --

<< Christian Broussas – Hippie - 2/06/2019 <><> © • cjb • © >>

21 février 2018

Le gisant de San Cristobal

En arrivant en vue de San Cristobal de Las Casas, dans l’état du Chiapas au Mexique, j’avais la tête pleine de ce que j’avais admiré les jours précédents, ces paysages aussi grandioses, aussi singuliers les uns que les autres, qui donnent une idée de l’infinie ressource d’une nature qui ramène nos œuvres d’art à leurs justes dimensions humaines. Autant d’images emmagasinées, autant de sensations court-circuitant mes références personnelles. Mais je ne m’attendais pas au genre de surprise que je découvris à l’intérieur de la cathédrale de San Cristobal, Notre-Dame-de-l’Annonciation.

   Notre-Dame-de-l’Annonciation

Je musardais nonchalamment, le nez en l’air dans cette grande cathédrale dont l’équilibre de l’architecture interne et la relative sobriété me changeaient de l’église Santo Domingo visitée le matin même, cet ancien couvent avec sa façade gris rose aux belles proportions et son intérieur d’inspiration rococo dont les ornements monumentaux dégoulinent de dorures, pourvue d’un surprenant maître autel en bois plutôt tarabiscoté. J’avais visité bien d’autres églises dans ce Mexique religieux où la dévotion semble encore avoir un sens, des monuments insolites croulant de richesses où les murs disparaissent sous les boiseries ouvragées et les peintures de tout format illustrant des scènes de la Bible.

L’extérieur m’avait ravi avec cette grande façade tempérée par une couleur d’un jaune tendre, agrémentée d’une multitude de volutes et de décors qui coupaient ses volumes et gommaient son côté monumental. J’entrai un peu blasé par mes visites précédentes, un peu lassé de cet effet répétitif quand je fus attiré par un intérieur qui tranchait justement avec l’excès de décorum que j’avais constaté jusque-là. C’était trop pour moi, j’étais trop raisonnable pour la profusion de ce style rococo et de tout cet or. Trop raisonnable pour cette dévotion à fleur de peau qui paraissait pourtant si naturelle dans ce pays. Mais là, dans la cathédrale, c’était différent.

Curieux, le nez toujours en l’air, j'admirais la nef bien découpée, sa chaire en bois du XVIe siècle et surtout ses admirables retables qui contrastaient avec le reste de l’édifice, me demandant (comme toujours en pareille circonstance) comment les hommes pouvaient parvenir à ce degré de perfection... et pourquoi tant de richesses étalées alors que tant d’hommes vivent dans le plus grand dénuement, alors que des enfants en guenilles mendient devant le porche de ces monuments rutilants qui suent la richesse.

                  
La cathédrale de San Cristobal           L'église Sainte-Lucie

Des retables en bois de style baroque, recouverts de feuille d’or et des colonnes contournées dites colonnes salomoniques encadrant des peintures de l’artiste Juan Correa, au fond les grands retables de l’Autel des Rois ( altar de reyes) et sur les murs latéraux les deux retables de même style mais plus modestes, celui de la Vierge de l’Assomption et celui de San Juan Nepomuceno, dominaient l’intérieur de l’édifice. Le nez en l’air à admirer "mes" retables et ELLE par terre, quasiment à plat-ventre, le visage enfoui dans un fichu, le corps tendu pour mieux se mortifier. Je ne l’aperçus pas tout de suite, intrigué par des espèces de gémissements que j’eus du mal à localiser.

À l’écart, à-demi cachée dans le clair-obscur d’une niche, elle était allongée sur le sol, implorant la statue d’un saint incrustée dans une alvéole du mur. Je fus médusé par le spectacle de cette femme quasiment affalée sur le beau marbre zébré qui diffusait des dessins géométriques jusque dans les alvéoles et les extrémités du chœur où trônaient des Saints au visage figé, dans une position d'extrême humilité. Bien qu'elle fût face contre terre et que son visage reflétât sans doute l'humilité, une expression de douleur devait la dominer, avec la volonté affirmée de se mortifier, de s'abaisser pour que sa supplication recueille ainsi plus facilement les faveurs du Tout-Puissant. Sans trop savoir pourquoi, elle me fit penser à un gisant, non avec un visage de sérénité comme on le représente le plus souvent, mais à un transi, la face émaciée et le corps décharné, comme celui du roi louis XII et d'Anne de Bretagne que j'avais eu l'occasion de contempler dans la basilique de Saint-Denis au nord de Paris.

Nulle béatitude ici, dans ce corps étendu et convulsif qui priait avec une ferveur telle que tout disparaissait, qu’elle ne voyait sûrement plus rien de ce qui l’entourait. Chaque fibre de son corps semblait participer à l’expression de sa foi, pour parvenir au don total de soi dans une osmose où les âmes puissent se rejoindre. Le silence pesant n’était rompu que par des bruits de chaises, des raclements de gorge qui se répercutaient en écho, s’élevant dans le vaste vaisseau central. La lumière filtrait avec difficultés dans ce coin reculé de l’édifice, ajoutant encore au mystère fascinant dont je venais d’être le témoin.

Sans y penser, je me reculais, fis quelques pas en arrière pour m’éloigner un peu, pour ne pas la déranger dans sa dévotion, comme si ma présence avec mon appareil photo en bandoulière avait quelque chose d’incongru, de déplacé, comme si par mégarde j’étais entré dans un univers où je n’avais pas ma place.

Quel contraste avec la douce ferveur d’un chant liturgique, quand mains jointes, chacun en appelle au ciel, lève le regard vers le firmament qu’il implore sans ostentation, le cœur plein de la certitude de communier ensemble. Ici, visage tourné vers la terre de cette petite femme tout de noir vêtue dans la cathédrale de San Cristobal de Las Casas, là-bas, "chez moi", une tout autre conception avec ces visages tournés vers le ciel pour s’élever jusqu’à Dieu à l’occasion des processions, dans un élan qui voudrait monter aussi haut que les flèches des grandes cathédrales gothiques.

  
Costume traditionnel     San Cristobal Les arcades

Revenant sur mes pas après avoir mitraillé les grands retables, je l’aperçus se relever lentement, le visage en larmes, s’agenouiller en égrenant son chapelet d’un geste machinal tout en bredouillant ce qui devait être une prière. Après une ultime génuflexion, sans un regard alentour, elle rajusta son fichu et s’engagea d’un bon pas dans l’allée centrale comme si elle était désormais pressée et disparut dans l’éclat du soleil qui inondait le parvis de la cathédrale. Qu’avait donc cette pauvre femme de si lourd à porter qu’il fallût qu’elle s’en déchargeât devant Dieu face à terre et dans une attitude de contrition aussi extrême ? À voir sa condition, les vêtements sans grâce d’une simple paysanne des alentours, son air de soumission, d’accepter sa condition sans barguigner, ses pêchés ne pouvaient être que véniels.

Et pourtant, pour elle ce rite avait une autre portée qui tenait d’une pratique essentielle, ancestrale, le gage de son salut éternel. Enfin… c’est ainsi que je voyais les choses. Quelques années plus tard, me trouvant de nouveau en voyage dans un pays d’Amérique latine, je pus assister à une procession de flagellants qui se lacéraient le corps à coups de fouet, en suant sang et eau et en demandant pardon à Dieu et à tous les Saints pour leurs pêchers sous l’admiration subjuguée d’une foule qui les encourageait. Forme de spectacle assez dur, difficile à supporter pour un occidental comme moi qui ait sans doute le cuir trop souple pour ce genre de pratique.

J’avais assez souffert avec D’Arrast , le personnage d’Albert Camus de sa nouvelle La Pierre qui pousse, qui s’impose le tour de force de traverser la ville en portant une énorme pierre de 50 kilos comme signe de reconnaissance pour mieux pouvoir s’intégrer dans une petite communauté brésilienne.

Ces réminiscences, je ne sais au juste pourquoi - sans doute que les liens entre les émotions doivent échapper à toute analyse- me ramenaient à l’image de cette femme dont je ne saurais jamais rien de plus, ombre fuyante gravée dans ma mémoire, à cette rencontre impromptue et silencieuse dans la cathédrale de San Cristobal de Las Casas. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------
<< Christian Broussas, San Cristobal - Feyzin, 12/01/2016 - © • cjb • © >>

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19 février 2018

Jorge Semprun Le langage est ma patrie

Référence : Jorge Semprun, Le langage est ma patrie, préface de Bernard Pivot, éditions Libella-Maren Sell, 118 pages, février 2013

         
« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. »

Durant l’été 2010, Jorge Semprun se livre à une série d’entretiens avec Franck Appréderis, un ami de longue date, ayant notamment permis de réaliser un portrait pour l’émission Empreintes de France Télévisions. Sur un mode qui lui est familier, à la fois intime et pudique, Jorge Semprun revient sur l’ensemble de son œuvre aussi bien littéraire que cinématographique et sur son parcours politique : résistant communiste déporté à Buchenwald, militant clandestin en lutte contre le franquisme et ministre de la Culture de Felipe González. Témoin et acteur des bouleversements de l’histoire du XXe siècle, il vit avec l’énorme poids de ses souvenirs.

Le réalisateur Franck Appréderis a réalisé dix heures d’entretiens avec Jorge Semprun, pour un épisode du magazine Empreintes qui a été diffusé sur France 5.
Ce grand témoin des bouleversements de l’histoire du XXe siècle se confie avec un certain humour, malgré la gravité du propos, recul et lucidité liés à une grande érudition et une joie de vivre chevillée au corps.


Semprun (à droite) dans le gouvernement de Felipe Gonzalez

Franck Appréderis a travaillé avec Jorge Sempun pour la première fois en 1976. Ils vont écrire tous les deux une mini-série située dans les années 1950 à Saint-Germain-des-Prés, un film inspiré de son livre L’écriture ou la vie pour France Télévisions, et ce portrait pour la série Empreintes.
Ce livre est l'occasion pour l'homme de lettres de revenir sur les différentes étapes des trois grands engagements littéraire, cinématographique et politique, qui ont marqué sa vie. L’ouvrage est présenté en cinq grands chapitres, son expérience lié à son travail de mémoire et sa réflexion sur l’avenir :
1- À l’encre du vécu – 2- Lieux de mémoires – 3- La force de la culture --
4- L'aventure en Europe – 5- Pour la fraternité –


Écrire impose une unique patrie, le langage. Non pas une langue en particulier, mais le langage qui englobe tout, « la communication, l’amour, la haine, la discorde, la concorde, la politique, le roman – tout ! »

Jorge Semprun (1923-2011), fils d’exilés républicains espagnols, poursuit ses études en France. Jeune résistant, il relatera son expérience de Buchenwald dans plusieurs ouvrages sur l’enfer concentrationnaire. Après la guerre, il sera l’un des dirigeants du Parti Communiste espagnol. Après son exclusion en 1964, il se consacrera à l’écriture avec une parenthèse de 1988 à 1991 où il occupera le poste de ministre de la Culture du gouvernement socialiste de Felipe González. [1]

Jorge Semprun évoquera dans ses livres les péripéties de son adhésion au parti communiste, les conditions de son exclusion puis son rôle de ministre de la Culture espagnol avant d'écrire sur l’évolution de la gauche ou de l’Europe.
Son parcours d'écrivain suit son abandon de la clandestinité et son rejet de l’idéal communiste, disant à propos de cette époque : « j'ai abandonné la peau de serpent de la vie clandestine pour entrer dans la peau tout à fait publique de l'écrivain. »

Jorge Semprún et Virgilio Peña lors de leurs retrouvailles, en 2010, pour le 65e anniversaire de la libération du camp de Buchenwald.

Si l’expérience du camp de Buchenwald, si importante pour l’auteur, si présente dans son œuvre, si déterminante dans son itinéraire, est introduite dans ce livre à partir d'un discours datant de 2010, on le suit aussi dans son parcours : Paris et ses années d'étudiant, le Prado, où il se cacha à l’époque de la  clandestinité, « le lieu idéal », un lieu beaucoup moins fréquenté qu'aujourd'hui, un lieu parfait entre deux rendez-vous secrets. « La vie de clandestinité, ajoutera-t-il, n'est pas une vie de bureau mais de café, d'endroits où l'on tient des réunions plus ou moins longues. »

Les grands thèmes de Semprun sont largement repris, en particulier la relation entre réalité et fiction, la réalité de son vécu dans l’univers concentrationnaire confrontée à la relation qu’il en fait dans ses "romans-témoignages".

Pour retracer son expérience, en particulier la façon dont il a vécu à Buchenwald, Jorge Semprun revendique le droit de recourir à la fiction, revenant par exemple sur les émotions qu’il ressentit quand Yves Montand incarnait son personnage dans le film La guerre est finie : « Je n'avais pas le sentiment de revivre l'évènement. J'avais le sentiment d'assister à une chose que je connaissais intimement. Mais là, dans ce que j'ai vu du personnage au retour de Buchenwald, c'est infiniment plus fort. Là, j'ai vraiment l'impression d'assister à ma propre vie. »

          
Jorge Semprun et Yves Montand

On retrouve dans ce livre l’itinéraire compliqué de Jorge Semprun, mêlant anecdotes sur sa vie, sur ses goûts (pour le football par exemple) et réflexions sur les leçons du passé ou sur l’avenir, le long travail de la mémoire pour laisser « l'empreinte de la critique et même de l'autocritique, l'empreinte sur l'âme plutôt que sur le monde. »

Notes et références
[1]
Semprun qui affirme, non sans dérision, que « la chose que j’ai le mieux réussie dans ma vie, c’est la clandestinité », a traversé les phalanges franquistes, les luttes intestines du Parti communiste, la barbarie nazie, les espoirs et déceptions de la construction européenne… ce qui ne l’empêche pas de croire en l’« héroïsme de la raison ».  (Le magazine philosophique)

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18 février 2018

Jorge Semprun Repères sur son œuvre

Jorge Semprun, une approche sociétale 
.
À travers son œuvre romanesque, Jorge Semprun a développé quelques thèmes récurrents sur les événements qui ont marqué sa vie. Il a surtout écrit des livres-témoignages, autant d’autobiographies qui suscitent en lui autant de réflexions sur l’état d’une société à un moment donné et son évolution.
Il y parle de nazisme, de franquisme, mais pas seulement...
Il y narre sa terrible expérience dans les locaux de la Gestapo à Paris et son départ pour l'Allemagne dans Le Grand voyage, sa difficile réadaptation dans L'Évanouissement, ou la vie dans le camp de concentration de Buchenwald dans Quel beau dimanche, Le mort qu'il faut ou L'Écriture ou la Vie...

Il retrace son parcours clandestin à l'époque du franquisme quand il était un membre éminent du PCE revenant en Espagne pour des missions, comme dans Autobiographie de Federico Sanchez, La Deuxième Mort de Ramon Mercader ou Vingt Ans et un jour ainsi que  sa vie d'exilé en France et les années de l'après-franquisme dans Adieu vive clarté, Montand la vie continue, La Montagne blanche ou Federico Sánchez vous salue bien.

Jorge Semprun disait qu’à cause de sa terrible expérience des camps, il n’avait pas pu écrire pendant une vingtaine d'années sur son expérience de déporté, comme si sa vie en avait dépendu, comme s’il reculait face à « l'écriture de l'indicible ». Plus tard, il écrira un ouvrage intitulé Se taire est impossible, dans lequel il dira comment la parole s’est finalement imposée.

         

Il a également abordé d’autres thèmes qu’on trouve par exemple dans Autobiographie de Federico Sanchez, comme  Soledad, pièce de théâtre basée sur son expérience communiste, ou des poèmes qui émaillèrent cette période de sa vie.

Jorge Semprun a écrit, outre son œuvre romanesque comptant plus d’une vingtaine de "romans-témoignages" largement autobiographiques, seize scénarios pour le cinéma, marqué par sa collaboration avec des metteurs en scène comme Alain Resnais ou Costa-Gavras et son amitié avec Yves Montand qu’il aborde dans son livre Montand la vie continue. A cours de son existence, il a reçu onze prix littéraire dont le prix Fémina en 1969.

          
L'homme européen               Le fer rouge de la mémoire

Si les études sur l’œuvre de Jorge Semprùn sont assez nombreuses, il faut surtout se référer à ses principaux biographes dont je retiendrai trois noms :

1- Jaime Céspedes Gallego, auteur de plusieurs études sur Semprùn dont deux sont disponibles en français : Cinéma et engagement : Jorge Semprún scénariste, collection CinémAction n°140, Corlet Éditions, 2011 et « André Malraux chez Jorge Semprún : l'héritage d'une quête », Revue André Malraux Review, no 33, Norman, University of Oklahoma, 2005.
2 - Françoise Nicoladzé, La deuxième vie de Jorge Semprun, une écriture tressée aux spirales de l’Histoire, éditions Climats, 1997, 379 pages et La Lecture et la vie, Paris, Gallimard, 2002, 162 pages.
3 – Gérard de Cortanze, Le Madrid de Jorge Semprun, Paris, éditions du Chêne, 1997, 319 pages, Jorge Semprùn, L'écriture de la vie, Gallimard/Folio, 2004 et Entretiens entre Jorge Semprun et Gérard de Cortanze.
Ses derniers livres sont plutôt des essais, des ouvrages de réflexion sur l’avenir (L’homme européen, Où va la gauche ?) sur sa terrible expérience des camps (Mal et modernité, Une tombe au creux des nuages, Exercices de survie) ou le rôle de l’écriture (Le langage est ma patrie) après le travail de mémoire de L’écriture ou la vie
.
Ses dernières œuvres :
* 2005 : L’homme européen, avec Dominique de Villepin, collection Tempus, éditions Perrin
* 2008 : Où va la gauche ?, éditions Flammarion
* 2010 : Une tombe au creux des nuages, Essais sur l'Europe d'hier et d'aujourd'hui, collection Climats, éditions Flammarion
* 2012 : Exercices de survie, éditions Gallimard
* 2013 : Le langage est ma patrie, Éditions Buchet/Chastel

      
Mes articles sur l’œuvre de Semprùn repris dans ce Livre Groupe de Wikipédia
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18 février 2018

Jorge Semprun Vingt ans et un jour

Vingt ans et un jour (Veinte años y un díaest) est un livre de l'écrivain franco-espagnol Jorge Semprún, publié en espagnol en 2003 et l'année suivante en version française dans une traduction de "Serge Mestre". Quasiment autobiographique comme la plupart des livres de Jorge Semprún, son action se situe au cours de l'année 1956, un peu après les grandes manifestations étudiantes opposées au régime franquiste.

            

Référence Jorge Semprún, "Vingt ans et un jour", Éditions Gallimard, collection "Du monde entier", 304 pages, 2004, isbn 207073482x et Folio/Gallimard, 2006, isbn 2070336859

Le titre Vingt ans et un jour représente la peine que la justice franquiste réservait aux dirigeants politiques de l'opposition clandestine. Jorge Semprún brosse le portrait d'un pays toujours traumatisé par la terrible guerre civile qui l'a durablement marqué mais qui aime aussi penser à l'avenir et à une possible réconciliation. Les histoires et les anecdotes se mêlent et s'emmêlent -comme souvent chez Semprún -autour d'une surprenante histoire centrale, romanesque et théâtrale, où il ne faut pas se fier aux apparences, surtout avec un narrateur qui "s'avance masqué".

Nous sommes au cours de l'été 1956 en Espagne et un historien nord-américain nommé Michael Leidson arrive dans le pays pour y effectuer des recherches sur la guerre civile. Ceci n'offre rien de très original mais tout ne va pas se dérouler comme prévu. À sa grande surprise, cet homme avec son regard extérieur, même s'il parle bien la langue du pays, va se trouver aux prises avec de bien étranges événements. À la Maestranza, une grande propriété de la région, il pensait naïvement assister à un rituel vieux de vingt ans : depuis 1936, année qui marque l'assassinat du jeune homme qui devait héritier de ce riche domaine par des paysans, cette grande famille fait rejouer chaque année les scènes de sa mort.

Mais cette fois-ci, cette espèce de cérémonie expiatoire ne se déroule pas comme d'habitude : Michael Leidson assistera à l'inhumation d'un des tueurs de la victime et qui plus est, l'un de ses meilleurs amis d'enfance.

Beaucoup de questions se posent à propos de cette mystérieuse cérémonie : c'est comme un roman policier, l'énigme est posée au départ et il faut remonter dans les événements, dans la biographie des protagonistes ce qui a bien pu se produire.

  Vue de Quismondo

Étrange cérémonie en effet dans le vaste domaine de La Maestranza, dans la crypte, on s'apprête à enterrer ensemble le maître José Maria et le domestique Chema, principal responsable du soulèvement des journaliers, le 18 juillet 1936. Que s'est-il passé ce jour-là, à la Maestranza ? Pourquoi cette fusillade, alors que personne n'en voulait à ces patrons, les paysans désiraient seulement collectiviser le domaine ? Pourquoi tant de temps après procéder à cette inhumation commune, qui apparaît comme scandaleuse ?

Juillet 1956, dans le petit village de l'Espagne profonde, à Quismondo près de Tolède, les habitants du domaine de la Maestranza se préparent pour commémorer le vingtième anniversaire du début de la guerre civile et l'assassinat le 18 juillet 1936 d'un des trois frères propriétaires du domaine: « Cette mort, écrit Semprún, bien qu'elle fût cause de tout, n'était pas la chose la plus importante. Il y en eut tellement au cours de ces jours-là. Le plus intéressant, c'était ce qui arriva par la suite. Tous les ans, en effet, depuis la fin de la guerre civile, la famille - la veuve et les frères du défunt - organisait une commémoration le 18 juillet. Pas seulement une messe ou quelque chose de ce genre, mais vraiment une authentique cérémonie expiatoire et théâtrale. Les paysans de la propriété devaient reproduire le fameux assassinat : faire semblant de le reproduire, bien entendu. »

Cette cérémonie rappelait étrangement ces petites pièces en un acte jouées pour la fête du Saint-Sacrement, en Espagne au XVIIe siècle, une tradition que même un homme comme Ernest Hemingway, pourtant habitué à la guerre, trouva de très mauvais goût. Ce recours à une vieille symbolique chrétienne et le retour à un ordre social brutalement rétabli par la franquisme avivait les haines inexpiables nées de la guerre civile et créait une culpabilité qui interdisait de se tourner vers l'avenir.

Même si Jorge Semprún a écrit le scénario de La guerre est finie, elle est toujours présente dans les cœurs et dans les esprits et il faut parcourir les arcanes des souvenirs pour y voir un peu plus clair... Jorge Semprún dessine un pays qui se cherche dans la dure réalité du franquisme des années 50, de la répression policière qui nie l'espoir de changement qui se fait jour dans la jeunesse. L'église catholique elle-même est très partagée et, même si la hiérarchie a choisi le camp franquiste, l'un des frères du défunt que décrit Semprún, père jésuite et lecteur de Marx, n'hésite pas à introduire ses œuvres en fraude.

Mais la société est encore anesthésiée, la femme soumise, propriété de la famille dans ce monde dominé par les hommes où les êtres sont prisonniers de leurs préjugés, où le mariage est encore considéré comme un moindre mal, un compromis avec le péché. Le tableau qu'en dresse Jorge Semprún est comme une œuvre impressionniste, l'ensemble acquiert sa densité par petites touches successives, des va-et-vient constants qui remontent jusqu'à l'année 1935 pour sauter ensuite à l'automne 1985. Mais en juillet 1956, malgré quelques velléités de changement, les grèves des étudiants, rien n'a encore changé en Espagne.

   
Madrid et Barcelone en juillet 1936

La démarche de Jorge Semprún

À l'occasion de la parution de ce livre, Jorge Semprún est interviewé par son éditeur et donne quelques précisions sur sa démarche.

   * En ce qui concerne le titre qu'il a choisi, il dit :

« (Vingt ans), c'est le délai qui s'est écoulé entre les deux principaux épisodes de l'histoire : le 18 juillet 1936 où un propriétaire terrien est assassiné et juillet 1956, l'année où se déroule le roman. C'était aussi le "tarif" encouru par tous les dirigeants clandestins anti-franquistes. Le jour rajouté rendait la procédure de liberté conditionnelle beaucoup plus difficile. Ce jour en plus était donc le jour fatidique. Il y a un jeu de miroir entre la temporalité des deux parties de l'histoire, celle du vécu et celle de la  mémoire, et la peine qui menace le personnage de Federico Sánchez. »

   * En ce qui concerne l'histoire, sa réalité et son écriture, il confie :

« (Cette histoire) est réelle dans le sens où le premier récit de cette cérémonie expiatoire m'a été fait par un très bon ami, Domingo Dominguín.

 La manière dont je relate les circonstances de ce premier récit, lors d'un déjeuner dans un restaurant de Madrid en présence d'Hemingway est absolument exacte.

     Dominguin avec Picasso & Cocteau

Dominguín me l'a raconté une deuxième fois dans leur propriété familiale de La Companza, dans ce village de Quismondo qui existe réellement. La Companza d'ailleurs, m'a servi de modèle pour le domaine de La Maestranza qui lui, est totalement inventé. Enfin, il a raconté cette histoire une troisième fois, avec un luxe de nouveaux détails. Mais à chaque récit, le lieu exact était variable : une fois c'était la région de "Tolède", une autre en "Estrémadure"...

Mais j'ai tout de même eu la confirmation indirecte que l'histoire, tout au moins dans son noyau central, était réelle, puisque Pepe Dominguín, le frère cadet de Domingo, a fait remarquer que "pour une fois son aîné racontait une histoire vraie ! Ensuite, j'ai brodé... »

Pour l'histoire elle-même, il reconnaît jouer « avec cette histoire, tantôt telle qu'elle m'a été racontée, tantôt comme je l'a raconte. Quelle est la version romanesque, quelle est la version réelle ? Par moments, je ne sais plus moi même ce qui appartient au récit d'origine et ce que j'ai rajouté ! »

À cette remarque que « tout le roman est traversé par un fil rouge, et même rouge sang : un tableau représentant « Judith et Holopherne », Jorge Semprun qui à 16 ans en 1939 découvre un livre de Michel Leiris intitulé L'Âge d'or, l'explique ainsi : « C'est une histoire très personnelle. [...] Il y a dans ce livre une longue analyse du thème de Judith qui m'avait beaucoup frappé. Comme tous ceux qui fréquentent des musées, j'ai vu bien des "Judith et Holopherne", c'est un thème classique de la peinture de la Renaissance, surtout italienne. Mais, et c'est absolument vrai, la vision de cette Judith d'Artemisia Gentileschi au musée de Naples a été un choc. Immédiatement, les éléments épars de ce roman, qui était encore comme une nébuleuse, ont commencé à cristalliser. Cela dit, j'ai vu ce tableau en 1986, vous voyez le temps qu'il m'a fallu pour écrire le livre ! »

    Judith et Holopherne Naples

Indications bibliographiques
* Bartolomé Bennassar, "La guerre d'Espagne et ses lendemains", Éditions Perrin, Paris, 2004
*
Édouard de Blaye, "Franco ou la monarchie sans roi", Éditions Stock, 1974

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18 février 2018

Jorge Semprun Le mort qu'il faut

Le Mort qu'il faut est un récit roman autobiographique de Jorge Semprún qui se déroule dans le camp de concentration de Buchenwald.

                                                       
            Jorge Semprún : Portrait  Maurice Halbwachs : Les cadres sociaux de la mémoire

Référence : Jorge Semprún, "Le Mort qu'il faut", éditions Gallimard, collection Blanche, 208 pages, 2001, isbn 207075975X, "Le Mort qu'il faut", 'Post-scriptum au Grand Voyage', éditions Gallimard, 2001

« La vie en soi, pour elle-même, n'est pas sacrée : il faudra bien s'habituer à cette terrible nudité métaphysique. » (Jorge Semprun - Adieu vive clarté...)

Il aura fallu à Jorge Semprun plus de cinquante ans pour parler de cet épisode de sa vie dans le camp de concentration de Buchenwald. Il ne la mentionne ni dans Le Grand Voyage ni dans L'Écriture ou la Vie ses deux livres précédents qui décrivent la vie de Buchenwald. C'est au cours d'une conversation avec le peintre Zoran Music, plus exactement à partir d'un dessin représentant deux cadavres allongés tête-bêche, que resurgirent ses souvenirs.

Cette fraternité dans la mort apparaît déjà dans L'Écriture ou la Vie avec la mort de son ami et professeur Maurice Halbwachs. Mais ici, face à l'agonie du mort qu'il faut, de François L avec qui il avait parlé littérature, Semprun ne peut prononcer une parole. Dans cette espèce de tombeau qu'est à l'aube ce lieu, le Lager, « salle des sans-espoir », il tente de recueillir quelques bribes de paroles balbutiées par cette bouche inerte. François L, avant de sombrer dans « l'éternité de la mort » tente d'articuler quelques sons mais Semprun ne distingue que cette bride "nihil", prononcée deux fois.

Ce n'est que cinquante ans plus tard qu'il repensera à ces syllabes prononcées par François L quand il adapte Les Troyennes de Sénèque pour le théâtre de Séville, ce vers qu'il retrouve : « Il n'y a rien après mort, la mort elle-même n'est rien. »

        

Résumé et contenu

Quand une note arrive au camp, venant de la Direction centrale des camps de concentration à Berlin, ce n'est jamais bon signe. Elle aboutit sur le bureau de la Politische Abteilung, l'antenne de la Gestapo de Buchenwald. Il s'agit d'une demande de renseignements sur un certain Jorge Semprun. L'intéressé n'est pas trop inquiet, ce n'est qu'un obscur exécutant, un anonyme dans le camp.

Mais on s'organise, prenant les précautions nécessaires en pareil cas. Les camarades de l'organisation communiste clandestine qui ont intercepté la note de Berlin décident de mettre en place la solution utilisée dans une telle situation : envoyer Semprun à l'infirmerie et lui donner l'identité d'un certain François L qui est agonisant. Ainsi se met en place le mécanisme de changement d'identité dans un face-à-face avec la mort.

C'est comme si Semprun tardait à aborder la question essentielle, celle de l'identité, la sienne qui dit être écartée en raison du danger, celle de cet être mourant qui va perdre et sa vie et son identité. Son écriture indirecte, où la mémoire hésite à défiler les événements, où la chronologie n'a pas sa place, nous conduit dans la longue nuit au Lager, revenant sur des moments, sur des lieux, sur ces fameuses latrines de Buchenwald, « lieu d'asile et de liberté » unique, hors du regard des nazis qui n'y pénètrent jamais.

Il revoit les visites du dimanche à son ami et professeur Maurice Halbwachs, autour du châlit du bloc 56, évoquant le passé. Son refuge, c'est aussi la présence constante de la poésie, la récitation silencieuse de poèmes qui l'obligent à d'énormes efforts de mémoire mais lui permet d'oublier la promiscuité du camp. C'est là qu'il apprendra que les camps ne sont pas l'apanage de l'Allemagne nazie et qu'il en existe aussi en URSS.

Il glane des renseignements sur François L, ce « quasi-mort qu'il faut », cet homme dont il "usurpe" l'identité. C'est un étudiant parisien, fils d'un des chefs de la Milice française, « ce mort vivant était un jeune frère, mon double peut-être, mon Doppelgänger : un autre moi-même ou moi-même en tant qu'autre. » Il lui restait à lui Jorge Semprun, au-delà du devoir de mémoire, d'écrire ces pages pour faire revivre cet homme dépossédé de son histoire, de son identité, d'écrire et décrire cette mort pour qu'au moins à travers les liens qu'elle a forgés, elle prenne un sens.

Œuvres de Semprun sur cette époque

Autres œuvres sur cette époque

  • Primo Levi, "Si c'est un homme" (Se questo è un uomo), Mémoires, 1947 et 1958
  • Marguerite Duras, "La Douleur", Éditions POL, 1985
  • Robert Antelme, "L'Espèce humaine", Éditions Gallimard, 1947, rééditions en 1957 et 1999

Voir aussi :

  • François-Jean Authier, "Le texte qu'il faut... réécriture et métatexte dans Le mort qu'il faut de Jorge Semprun, Travaux et recherches de l'UMLV, autour de Semprun, numéro spécial, 65-78, mai 2003

Liens externes

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18 février 2018

Jorge Semprun Adieu, vive clarté

Adieu, vive clarté est un récit roman autobiographique de Jorge Semprún qui se déroule pendant la période précédent son départ dans le camp de concentration de Buchenwald.

Référence Jorge Semprún, "Adieu, vive clarté...", éditions Gallimard, 249 pages,1998, réédité chez France Loisirs en 1998 et en édition de poche Folio/Gallimard en 2000, isbn 978-2-07-041173-3

                                                           
Jorge Semprun dans les années 80                             Sa tombe à Garengeville

« […] toute mon imagination narrative a semblé aimantée par [le] soleil aride [de Buchenwald], rougeoyant comme la flamme du crématoire. Même dans les récits les plus éloignés de l’expérience personnelle, où tout était vrai parce que je l’avais inventé et non parce que je l’avais vécu, le foyer ancien était à l’œuvre, incandescent ou couvant sous la cendre. » (Jorge Semprún - Adieu, vive clarté…)

« Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ; Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! »
(Charles Baudelaire - Extrait de "Les Fleurs du mal")

          

Jorge Semprun, né à Madrid en 1923, futur dirigeant du PCE (Parti communiste espagnol), est non seulement le fils d'un diplomate républicain mais aussi le petit-fils d'un Premier ministre du roi Alphonse XII. Il accède à la langue française à travers Baudelaire, à qui il emprunte le titre de ce livre « "Adieu, vive clarté..." » Lors d'une interview en 1998, il précise que ce livre est « le récit de la découverte de l'adolescence et de l'exil, des mystères de Paris, du monde, de la féminité. Aussi, surtout sans doute, de l'appropriation de la langue française. »

Adieu, vive clarté... évoque la nostalgie de l'exil quand il se rend le plus proche possible de la frontière espagnole à Biriatou : « À Biriatou, de la terrasse ombragée du restaurant, je regardais l'Espagne, sur la rive opposée de la Bidassoa. Le soleil se couchait sur l'océan, invisible, au loin. L'horizon de nuages légers, cotonneux, voguant dans un ciel pâle, était encore rougi par son absence imminente. L'Espagne toute proche, interdite, condamnée à n'être qu'un rêve pour la mémoire. Toute la journée, la lumière d'août qui s'évaporait dans la brume du soir avait été remuée, traversée par des reflets d'automne : du chatoyant, du mordoré, émiettant quelque peu la densité, l'aplomb du soleil estival. Septembre s'insinuait déjà dans le paysage, dans la langueur renouvelée, l'obsolescence des couleurs, la nostalgie rose et bleu des massifs d'hortensias. Orientée au sud, la terrasse du restaurant de Biriatou surplombait le cours de la Bidassoa. Les ombres de cette fin d'après-midi semblaient monter de cette gorge humide sur les versants des collines espagnoles d'Elizondo (Navarre), juste en face, au sud; de Fontarabie, à l'ouest. »

           
La mémoire de toute pièce     Semprun avec Montand et E. Le roy Ladurie

Il évoque longuement cette période précédant sa déportation au camp de Buchenwald. Il a écrit plusieurs livres sur sa terrible expérience dans ce camp et en particulier en 1994 où il raconte, dans un récit poignant dans sa douloureuse réalité, l'appropriation de ses souvenirs de déporté et les raisons qui ont fait qu'il lui a été impossible d'écrire après son retour de Buchenwald.

« […] toute mon imagination narrative a semblé aimantée par (le) soleil aride (de Buchenwald), rougeoyant comme la flamme du crématoire. Même dans les récits les plus éloignés de l’expérience personnelle, où tout était vrai parce que je l’avais inventé et non parce que je l’avais vécu, le foyer ancien était à l’œuvre, incandescent ou couvant sous la cendre. » (Jorge Semprun - "Adieu, vive clarté…")

Dans ce livre, Jorge Semprun parcourt ses souvenirs, autant d'événements qui se suivent et s'entrechoquent pour finalement donner sens à son vécu. « Plus je me remémore, plus le vécu d'autrefois s'enrichit et se diversifie, comme si la mémoire ne s'épuisait pas » écrit-il. La guerre civile qui a ravagé l'Espagne est terminée, le jeune homme part en exil à Paris au début de l'année 1939 pour être interne au lycée Henri-IV.

« Madrid était tombée et j'étais seul, foudroyé » se souvient-il, évoquant tour à tour la mort prématurée de sa mère -il a à peine neuf ans- celle du poète Antonio Machado que son père lui avait fait connaître et sa rencontre avec une jeune femme qu'il trouve « éblouissante » mais qu'il qualifie de quelque peu « ravagée » quand il la revoit dix ans plus tard dans un bar de Biarritz. Semprun écrit aussi à cette époque une pièce de théâtre sur une jeune femme « belle, intelligente et courageuse » Le Retour de Carola Neher.[1] Il relativise et en arrive à cette conclusion que « La vie en soi, pour elle-même, n'est pas sacrée : il faudra bien s'habituer à cette terrible nudité métaphysique. »

Semprùn et Françoise Chandernagor

« Plus je me remémore, plus le vécu d'autrefois s'enrichit et se diversifie, comme si la mémoire ne s'épuisait pas.  » "Adieu vive clarté..."

Il se tourne alors vers la littérature, dévore Charles Baudelaire mais aussi des auteurs comme Arthur Rimbaud, Jean-Paul Sartre, Paul Nizan, André Malraux, Jean Giraudoux et le "Palude" d'André Gide : s'approprier la langue française lui permet « un enracinement dans l'univers. » Il note que « face aux Français, j'étais séduit mais la langue espagnole ne cessa pas pour autant d'être mienne. En somme, du point de vue de la langue, je ne devins pas Français mais bilingue. » C'est de cette ambivalence culturelle et linguistique dont il traite dans un autre ouvrage intitulé L'Algarabie.     

Notes et références

  1. Actrice allemande très connue dans les années 1920 dans son pays mais elle dut quitter l'Allemagne nazie et disparut ensuite dans les purges staliniennes

Voir également

  • Jorge Semprun, Elie Wiesel, "Se taire est impossible", éditions Mille Et Une Nuits, 07/1997, réédition Livre de poche
  • Annette Wieviorka, "L'ére du témoin", éditions Hachette/Pluriel, 03/2002, isbn 2818503000
  • Primo Lévi, "Le devoir de mémoire", éditions Mille Et Une Nuits, 07/1997

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