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Art hispanique JF
16 février 2018

Jorge Semprún par Gérard de Cortanze

<< Interviews de Jorge Semprún par Gérard de Cortanze (1980- 2000)  >>

Ces Entretiens qui se sont déroulés entre 1980 et 2000, ont été rajoutés au livre que Gérard de Cortanze a consacré aux rapports qu'entretenaient Jorge Semprún avec Madrid, sa ville natale, paru sous le titre Jorge Semprun, l'écriture de la vie.

1- A propos de "Autobiographie de Federico Sanchez" - 1981

La publication de ce livre a été reçue de façon très variée. On y a surtout vu un livre politique, au pire un règlement de compte, au mieux un ouvrage nécessaire mais jamais son contenu littéraire, le récit et sa construction, son côté "romanesque". C'est sans doute cet aspect qui rend ce livre actuel et intéressant. Non seulement Jorge Semprun attend 1977 pour publier son livre [1] mais surtout il décide d'écrire celui-ci en espagnol par référence au rapport complexe entre l'expérience et la langue. Et l'expérience en l'occurrence, c'est son retour à Madrid même comme clandestin. Jusque-là, ses livres censurés par les franquistes, circulent sous le manteau, traduits et publiés en Amérique latine.

2- Dans l'Espagne du post-franquisme - 1981

Dans une interview en 1981, Jorge Semprún précise qu'il n'a jamais été déçu [2] par le rôle majeur de la bourgeoisie dans la gestion de l'après-franquisme. La transition démocratique suit son cours avec quelques avancées qui maintiennent l'espoir, bien que certains continuent à dire que « avec Franco, on vivait mieux. » D'autres, impuissants que ce changement sociétal coïncide avec une crise économique, pensent avec nostalgie « franco revient, nous te pardonnons. »

   Cortanze : Le Madrid de Semprun

3- Dans l'Espagne de Juan Carlos - septembre 1987

Ce qui inquiète Jorge Semprún, c'est l'attitude anti-démocratique de beaucoup d'intellectuels, comme « s'ils se sentaient frustrés du rêve d'une révolution après la mort de Franco. » L'Espagne actuelle est caractérisée par un certain antiaméricanisme, un pays "éclaté" aux particularismes forts au pays basque et en Catalogue et une grande réserve sur le passé juif et arabe. La Movida (de El Movimiento, le parti phalangiste) a été le mouvement dominant de l'après-franquisme marqué par l'ironie et l'irrespect, une « explosion d'après dictature, » une libération artistique et culturelle.

4- Un ministre clandestin - novembre 1993

Il a fallu attendre son expérience ministérielle entre 1988 et 1991qu'il retrace dans Federico Sanchez vous salue bien pour que Semprún parle de son enfance. Le Madrid d'alors est celui que décrit Azaña dans ses "Mémoires" : une ville qu'il pouvait traverser en se promenant et en guère plus d'une matinée, loin de l'agglomération industrielle qu'elle est devenue. Semprún a baigné dans la politique dès son enfance avec le grand-père ancien premier ministre du roi Alphonse XIII et l'oncle ancien ministre républicain. Sa mère aussi fut une républicaine convaincue qui tranchait avec son milieu. Ce poste de ministre, c'est une opportunité à laquelle il ne pensait nullement autant que le besoin d'une pose dans la rédaction laborieuse de L'écriture ou la vie.

« J'ai eu l'impression fugace mais violente que j'étais au-dehors de ma vie. En face de ma propre vie » écrit-il dans "Federico Sanchez vous salue bien", ce livre écrit en français et qu'il a décidé cette fois de traduire lui-même en espagnol. Une première. Comme ministre, il a senti une continuité entre toutes ses expériences. Celle de ministre, exaltante au début, décevante vers la fin où ses innovations furent constamment contrecarres et sa personne souvent attaquée. Un désenchantement aussi quand il dit qu'il n'a rien appris d'essentiel sur le pouvoir «  rien que je n'eusse pas déjà appris dans les livres. » Il s'est senti en contradiction entre la liberté de l'intellectuel et le devoir du politique. D'ici peu, il n'y aura plus de survivants pour évoquer leur expérience, les témoins oculaires auront tous disparus, aussi Jorge Semprún a dédié son livre Federico Sanchez vous salue bien à son petit-fils Thomas « pour qu'il puisse plus tard, après, se souvenir de ce souvenir... »

5- Malraux et l'Espagne - septembre 1996

Malraux et l'Espagne républicaine, ce fut d'abord une histoire d'amour. Il y souvent allusion dans ses discours et en mai 1936, il est à Madrid pour participer à la réunion du Comité international antifasciste. Jose Bergamín[3] deviendra le Guernico de son roman "L'Espoir", l'organisateur du service d'ambulances. Il est à l'époque un "anarcho-syndicaliste", « qui se rapproche le mieux de l'idéal que l'on pouvait avoir de l'ordre de la politique. » Il va s'engager ensuite pour créer une aviation capable de combattre les franquistes et leurs alliés.

Semprun découvre d'abord L'Espoir à La Haye en 1938. Il a 15 ans et est impressionné par ce récit de la guerre civile, ce passage où Hernandez, officier républicain, est fusillé après la prise de Tolède. Il ne cessera ensuite de le relire. Dans ce livre, l'envers de l'efficacité communiste, c'est « la perte de l'âme communiste, » situation incarnée par Manuel, double fictionnel de Gustavo Durán. [4]

Cependant, Malraux est très mal connu en Espagne, essentiellement par la conjonction du rejet des franquistes et des communistes. En janvier 1938, Malraux quitte l'Espagne pour n'y plus jamais revenir. De même, il n'écrira plus jamais rien sur l'Espagne. Cet espoir dont il parlait était d'abord une volonté affirmée « de changement, de résistance, de solidarité. » Croyance profonde en lui qui explique son rapport à la condition humaine, à l'injustice et à l'humiliation. Il est avant tout un marginal, un révolté qui aime dans le général de Gaulle qui se révolta contre le cours de l'histoire. De la même façon, il confiera à Roger Stéphane : « L'intelligence, c'est savoir maîtriser la part de comédie. »

6- Hemingway en Espagne - septembre 2000

Jorge Semprún a rencontré Hemingway en Espagne à deux reprises après la guerre civile. Une première fois en 1953 chez le toréro Antonio Ordoñez, où il se méfie de lui, le prenant pour un journaliste ! (Semprún est alors un clandestin communiste en mission) Puis en 1959 pour le dernier séjour d'Hemingway en Espagne où il parle peu, se méfiant cette fois-ci des mouchards franquistes. Il était alors un homme très âgé, triste et sérieux, « avec sa barbe blanche et de temps en temps, des moments d'une vivacité extrême. »

Ernest Hemingway a su saisir dans l'événement, dans l'anecdote, ce qui pourrait devenir une nouvelle voire un roman. Signe d'un grand romancier. L'article qu'écrivait le journaliste devenait « un formidable laboratoire littéraire. » On le voit fort bien dans ses livres où la tauromachie joue un rôle important et où il a saisi l'essence de l'âme espagnole : « sa proximité avec la mort. » [5] Il s'est engagé dans la guerre civile aux côtés des républicains mais il a réussi à prendre de la distance pour écrire Pour qui sonne le glas, fable qui puise ses sources dans la réalité de la guerre.

         

Notes et références

[1] ↑ Il n'a rien écrit en espagnol entre 1964 et 1977
[2] ↑  "désenchanté" disait-on plutôt à l'époque
[3] ↑ José Bergamín Gutiérrez est un acteur, écrivain, poète, dramaturge, scénariste et intellectuel espagnol, né à Madrid en 1895 et mort à Fontarrabie le 28 août 1983.
[4] ↑ Gustavo Durán Martínez (1906–1969) est d'abord un musicien espagnol, qui rejoignit les républicains pendant la guerre civile puis gagna les États-Unis où il fut écrivain et diplomate. [5] ↑ Sur la corrida et la tauromachie, on peut citer dans l'œuvre d'Hemingway : Mort dans l'après-midi, L'été dangereux, en partie Le jour se lève ainsi que des nouvelles comme De nos jours, L'invincible, La capitale du monde ou histoire banale.

Voir aussi

  • Bartolomé Bennassar, "La guerre d'Espagne et ses lendemains", Éditions Perrin, Paris, 2004
  • Édouard de Blaye, "Franco ou la monarchie sans roi", éditions Stock, 1974
  • Max Aub, "La véritable histoire de la mort de Francesco Franco", éditions du Rocher, mars 2003, isbn 2268045110

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