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Art hispanique JF
16 février 2018

Jorge Semprun, Le Grand Voyage

Référence : Jorge Semprun, "Le Grand Voyage", éditions Gallimard, 278 pages, 12/1972, isbn 2070362760

           Jorge  Semprun vers 1965

Le Grand Voyage est un roman autobiographique de Jorge Semprún qui eut un grand retentissement lors de sa sortie en 1963. Il raconte le voyage de cinq jours qu'il effectua, avec 119 autres détenus entassés dans un wagon de marchandise, jusqu'au camp de concentration de Buchenwald ; il aborde au long du récit plusieurs étapes de sa vie : la guerre civile espagnole et la Résistance, mais aussi la Libération et son retour en France. C'est le premier roman-témoignage où Semprun parle de son expérience à Buchenwald, revenant sur ce sujet dans d'autres œuvres comme Quel beau dimanche! ou L'écriture ou la vie.

               
À Buchenwald en mai 1995                       À Buchenwald en avril 2010

Février-mars 1960, Jorge Semprún est à Madrid, clandestin du PCE, Parti communiste espagnol. Soudain, la police franquiste procède à des rafles et démantèle plusieurs réseaux communistes dans la capitale madrilène. Il se terre dans son appartement de la rue Concepción Bahamonde.

« Je me retrouvais seul, écrit-il, immergé dans cette dimension déconcertante des heures creuses et des temps morts, sans fin. » Dans cet état particulier dont il n'a pas l'habitude, coupé de tout pendant plusieurs jours, -« sans trop y penser, sans même l'envisager de propos délibéré »- il se met à rédiger ce qui deviendra "Le Grand Voyage". [1]  Dans cet état de conscience, il tente de décrire les prémices du processus de création, les souvenirs s'entrechoquent entre les propos récents de Manolo Azaustre sur le camp de Mauthausen et sa propre expérience au camp de Buchenwald. [2]

C'est au cours de l'automne 1962 que, par hasard, les choses vont se préciser. Au cours d'une soirée à Paris, Jorge Semprún confie son manuscrit à une amie qui le fait lire à l'écrivain Claude Roy qui travaille alors aux Éditions Gallimard. Il est séduit et c'est ainsi que le livre sera édité l'année suivante. [3]

Voyage dans des conditions terribles que font ces hommes qui partent ils ne savent où, voyage interminable dont Semprun commence ainsi la description : « Il y a cet entassement des corps dans le wagon, cette lancinante douleur dans le genou droit. Les jours, les nuits. Je fais un effort et j'essaye de compter les jours, de compter les nuits. Ça m'aidera peut-être à y voir clair. Quatre jours, cinq nuits. Mais j'ai du mal à compter ou alors il y a des jours qui se sont changés en nuits. J'ai des nuits en trop ; des nuits à revendre. Un matin, c'est sûr, c'est un matin que ce voyage a commencé...» C'est aussi un voyage intérieur dans la mémoire, de l'anticipation de l'avenir de ce héros qui est lui mais qui est aussi une recomposition, une reconstruction sur une base autobiographique.

Son compagnon de voyage, le gars de Semur revêt une importance particulière dans le récit, les deux hommes se souviennent et se soutiennent. Semprun évoque aussi d'autres épisodes de sa vie, l'époque de la Résistance, le Paris d'avant-guerre... Le voyage se passe aussi bien dans le présent que le passé, avec la perspective d'un avenir de liberté, quand la reconstruction sera possible.

                             
 Le grand voyage                      Buchenwald : les déportés et vue du camp

Le prix Formentor
Le 3 mai 1963, Jorge Semprún sort de l'anonymat quand Georges Gosnat, [4] membre éminent du Parti Communiste Français annonce en plein repas de meeting communiste à Stains dans la région parisienne, que Jorge Semprún -alias Federico Sánchez- que "Le Grand Voyage" venait de recevoir le prix Formentor. Réaction très vive dans l'Espagne franquiste dont le journal ABC dans un éditorial du 13 mai 1963 se fera l'écho : « Qui est ce Jorge Semprún ? C'est un exilé qui a quitté notre pays en 1939, a combattu dans la résistance française, collabore à la presse marxiste et milite avec un zèle enthousiaste au Parti communiste. » [5]

Le 1er mai 1964, Jorge Semprún est à Salzbourg pour la remise du prix Formentor. Avant le dîner de réception, chaque membre du jury devait lui remettre un exemplaire de son livre dans l'une des treize traductions publiées. Tout se passe bien jusqu'au tour du représentant espagnol le poète Carlos Barral visiblement mal à l'aise, qui ne put s'exécuter, la censure franquiste en ayant interdit la publication. Carlos Barral s'avança et lui remit un livre dont toutes les pages étaient blanches et Jorge Semprún « fut émerveillé par ce livre vierge tout éblouissant de mots non écrits, comme si Le Grand Voyage n'était pas encore terminé, comme s'il restait encore à faire ou à écrire et Carlos Barral t'embrasse en te remettant ce livre admirable, ce livre à venir et à faire, ce livre de rêve... » [6]

Notes et références :
[1]
Voir aussi son livre "Autobiographie de Federico Sánchez", pages 223-224

[2] Il écrira à ce propos : « De fait, le livre s'imposa à moi avec une structure temporelle et narrative déjà complètement élaborée : sans doute pensé-je aujourd'hui, élaboré inconsciemment au fil des longues heures passées à couter les récits décousus et répétitifs de Manolo Azaustre sur Mauthausen. »
[3] Il précisera, concernant son élaboration : « Je travaillai toute une semaine à ce livre, écrivant d'une seule traite, sans à peine m'interrompre pour reprendre souffle. »
[4] Sous Secrétaire d'État du gouvernement Georges Bidault en 1946 - Député communiste de 1945 à 1958 puis de 1964 à 1982
[5] Un télégramme fut envoyé au jury du prix Formentor pour prévenir ses membres contre ce Jorge Semprún « agent communiste et ennemi du peuple espagnol, » Télégramme attribué à Salvador de Madariaga qui démentit et porta plainte... sans résultat
[6] Episode narré dans son autre ouvrage "Autobiographie de Federico Sánchez"

Voir également : Vidéo INA

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